Le Temps - 10.2020

Massacre à la fusionneuse

Ainsi donc, comme le relève certains milieux autorisés zurichois, une mégafusion entre Credit Suisse et UBS se préparerait en coulisse, les deux établissements bancaires emblématiques de notre pays ne jouant plus en première ligue au niveau international. La pression sur les marges semble justifier cet exercice périlleux, tout comme les enjeux technologiques... même si les résultats actuels restent très confortables : 3,6 milliards de dollars au premier semestre 2020 pour UBS (+9%) et 2,7 milliards de dollars pour le Credit Suisse (+16%).

Pourtant, nos grandes banques sont toujours leaders mondiaux dans la gestion de fortune (UBS n°1 et Credit Suisse n°4, chiffres de 2018), mais cela ne semble pas suffire, il faut aujourd’hui être au top dans toutes les disciplines ! Franchement, je n’ai pas la compétence pour évaluer la pertinence stratégique d’un tel rapprochement, mais je me permets de m’interroger.

Selon Forbes, les chances d’une fusion réussie sont de l’ordre de 50% environ. En cause, le fait que dans les réflexions stratégiques menées pour initier ces démarches, les dimensions « soft » comme le rapprochement de cultures d’entreprises différentes sont rarement pris en compte. La culture institutionnelle est pourtant le capital immatériel de l’organisation, un atout déterminant qu’il est impossible de copier à l’inverse des produits ou des services, et la performance est le fruit des talents que comptent l’organisation. La gestion de la mise en œuvre du projet est aussi généralement en cause. Souvent, après le rapprochement, un acteur a disparu et le volume d’affaires de la nouvelle entité n’est de très loin pas celui des deux acteurs avant la fusion.

Les premières victimes du massacre seront bien évidemment les collaboratrices et collaborateurs des deux entités. Dans ce cas, on parle d’une réduction de 10 à 20% des effectifs, soit environ 15'000 personnes globalement dont au moins 5'000 en Suisse où les deux banques comptent ensemble près de 35'000 salariés. Dans le marché bancaire actuel, souhaitons tout d’abord bonne chance aux personnes licenciées pour retrouver un nouvel emploi dans cette période de consolidation et de contexte sanitaire délicat... le pari parait difficile et la collectivité sera certainement sollicitée pour assumer le coût de la démarche, via les prestations de l’assurance chômage.

Les secondes victimes seront les clients de ces banques, qui sont souvent clients des deux établissements. Dans un premier temps, ils seront abandonnés à leur sort, car on sait bien que lors de fusion ou d’acquisition, toute l’énergie de l’organisation étant consacrée à l’interne, pour sauver sa peau ou pour gagner sa place dans le nouvel organigramme, le marché n’est plus une préoccupation. Ensuite, il faudra négocier de nouvelles conditions avec le mastodonte, dans un contexte où les acteurs diminuent régulièrement, et la concurrence avec. Une préoccupation de plus pour nos entrepreneurs déjà en situation difficile, les PME en particulier, pour qui l’éventail de solutions se réduit drastiquement.

Et la dernière victime pourrait être l’État, donc vous et moi, qui devrait en cas de pépin sauver la nouvelle banque dans l’esprit du « very too big to fail »... ce qui s’est déjà vu en 2008. Même les actionnaires n’auront peut-être pas grand-chose à y gagner. Finalement, un projet à haut risque qui ne devrait pas susciter beaucoup d’enthousiasme, sauf pour certain-e-s dirigeant-e-s ambitieux-se- s et les consultant-e-s internationaux bien connus qui accompagneront la démarche.