Le Temps - 28.08.2016

La fin des haricots

Au 18ème siècle sur les navires, on consommait les vivres selon un ordre immuable : en premier les produits frais et les animaux vivants, ensuite les aliments salés et fumés et enfin, jambons et haricots finissaient la cambuse*, la fin des haricots signifiait donc le début de la famine…

La fin des haricots, c’est bien ce qui risque d’arriver aux entreprises et organisations qui n’ont pas perçu le changement de paradigme que nous sommes en train de vivre avec l’arrivée sur le marché de nouvelles générations - Y et bientôt Z - qu’elles ne parviendront pas à intégrer. Première génération mondiale, tant par les valeurs qu’elle défend, il y aurait plus de points communs entre des jeunes issus de n’importe quelle région du monde qu’avec des baby-boomers venant de leur propre pays, que par sa taille, puisque 50% de la population mondiale a moins de 30 ans, c’est aussi la première génération de la révolution numérique, qui a accès via son Smartphone à toute la connaissance du monde. Cette nouvelle génération, qui chez nous est moins nombreuse que la précédente qu’elle va devoir remplacer, souhaite vouloir vivre ses valeurs de transparence, de fluidité, d’interconnexion et d’agilité, dans des environnements qui font du sens pour elle, où la flexibilité passe avant la sécurité et l’exemplarité avant le statutaire**.

Or, force est de constater que la tendance actuelle que nous pouvons observer dans de nombreuses organisations, je pense à l’Etat en particulier mais également aux Banques, va à l’encontre de ces valeurs. La culture du risque impose aujourd’hui aux acteurs de passer plus de temps à justifier ce qu’il font qu’à le faire, de privilégier la forme sur le fond, dans une inflation normative et règlementaire impressionnante qui semble sans limite. Si ces organisations ne changent pas fondamentalement leur fonctionnement, elles seront incapables d’attirer et de garder les talents dont elles auront besoin pour se développer ou remplacer ceux qui partent. Seules les personnes les moins compétentes, et donc les moins mobiles, rejoindront ces univers technocratiques déprimants, en stimulant un redoutable cercle vicieux : toujours moins de compétences c’est toujours plus de contrôles… Pour les autres, qui cherchent plus l’épanouissement que la réussite, plus de rapport de subordination avec l’entreprise, mais des collaborations ponctuelles, sous forme de mandats par exemple. Signe de cette tendance, aux Etats-Unis aujourd’hui, il y a plus de personnes qui travaillent en freelance que de personnes sous contrats à durée indéterminée. C’est bien un virage à 180° que certains vont devoir opérer, en mettant du sens, en augmentant la marge de manœuvre des acteurs, en développant la confiance, en revoyant le rôle de la hiérarchie, même si cela génère plus de risque. Mais rassurons-nous, les lourds systèmes que nous mettons en place aujourd’hui pour le limiter, coûtent beaucoup plus cher que le risque lui-même.

* pièce du bateau où l’on conservait les vivres

** selon Emmanuelle Duez, entrepreneur et égérie de la génération Y